Françoise Gilot, Geneviève Aliquot, une histoire d’amour.

Longtemps boudée en France, Françoise Gilot, qui a adopté la nationalité américaine, est enfin reconnue aujourd’hui comme une artiste à part entière dans son pays natal. Elle nous a quitté le 6 juin dernier et laisse derrière elle une œuvre considérable à la hauteur de son maître Picasso qui, s’il l’a influencée, n’a pas entamé son âme d’artiste libre, insoumise et créative. Elle fut inspirée tout au long de sa vie par Geneviève, son premier amour.

Françoise Gilot est LA grande peintre des XXème et XXIème siècles.

Le premier amour de Françoise Gilot ne fut pas Pablo Picasso, mais Geneviève Aliquot. Amour né d’un choc esthétique chez une jeune fille de 12 ans, artiste dans l’âme, attirée par la beauté sous toutes ses formes et qui, un jour de printemps, apparaît sous la forme d’une autre jeune fille, Geneviève, qui fait sa première rentrée dans une école privée de Neuilly.

C’est ici et maintenant que tout commence pour elle. Francoise la rebelle devient le  » page  » de Geneviève. Eblouie par la présence calme et lumineuse de cette nouvelle compagne de classe, elle ne vit plus que par elle et pour elle.  » Elle rentra dans ma classe au milieu de l’année scolaire, incroyablement belle, vêtue d’un chandail rouge tango et d’une jupe noire moulante, avec l’air plutôt d’une star en visite que d’une collégienne. On l’assit à côté de moi et j’étais si éblouie que je ne pouvais m’arrêter de la regarder. Au bout de dix jours, lorsqu’elle eût fait l’inventaire de ce qui se passait, elle se tourna vers moi et dit : » Toi, tu vas à partir de maintenant faire mes devoirs, parce-que tout ça m’assomme énormément. Tu es manifestement très intelligente, alors faire les devoirs de deux façons différentes sera pour ton esprit un exercice très intéressant et me permettra d’écrire de la poésie et de peindre. » je ne l’aurai jamais fait pour personne d’autre mais je l’ai fait pour elle. » ( extrait du livre Picasso, créateur et destructeur ).

Les années passent, elles sont inséparables, et toutes deux jeunes peintres, remportent un premier succès lors de leur exposition commune en 1943 chez Madeleine Decre, rue Boissy d’Anglas à Paris.

Ivre de leurs premiers succès, Françoise exhorte son amie Geneviève, élève chez Maillol, à se consacrer totalement à la peinture.

 » Nous serons célèbres  » lui écrit-elle dans une lettre pleine d’un enthousiasme juvénile et d’une passion sans faille pour son art et pour son amie.

Geneviève, muse très influente

Très vite, quasiment dès leur première rencontre, Geneviève devient la muse de Françoise et la restera durant une bonne trentaine d’années de façon très prégnante, (on pense au portrait de « Geneviève pensive » 1942, ou encore à cette si délicate esquisse de « Les deux amies« , plume, encre noire et lavis sur papier fait main, 1942) puis de manière plus discrète, pour laisser Françoise exprimer d’autres techniques picturales, en abandonnant en partie les thèmes de l’intime. Cependant Geneviève continuera d’apparaître périodiquement dans son travail.

On peut se demander ce qu’aurait été l’avenir artistique de Françoise, sans sa muse. Si sa mère était un soutien indéfectible pour elle, c’est pourtant Geneviève qui lui a donné la force de continuer d’avancer envers et contre tous et notamment contre son père qui souhaitait que sa fille devienne juriste. C’est l’amour inconditionnel qu’elle nourrissait à l’égard de Geneviève qui lui a donné des ailes. Qui l’a inspirée tout au long de sa carrière. Séparées, elles n’ont de cesse de s’écrire tout à la hâte de se retrouver.

Françoise est une romantique mais aussi une cérébrale. A travers ses écrits, on découvre chez elle une soif de savoir, de comprendre le monde. Tentée par l’ésotérisme elle évoque à demi-mots ses expériences, impatiente d’en parler de vive voix avec son alter ego.

André Marchand, devenu un intime des deux jeunes filles, semble avoir exercé une grande influence spirituelle sur Françoise, à la recherche de l’absolu. Fasciné par la beauté de Geneviève, il fait son portrait en 1945 sous le titre de « l’arlésienne ».

Un autre artiste ami, Claude Bleynie, décrit le sentiment très fort qui unit les deux femmes :  » C’était le genre de passion sublimée qu’on rencontre souvent chez les adolescents, une fixation romanesque qui ne laisse pas la place aux étrangers. Il y avait un mystère qui émanait d’elles lorsqu’elles étaient ensemble… » ( extrait du livre Picasso constructeur et destructeur.)

Françoise progresse dans l’art du croquis et du portrait grâce à son modèle patient et généreux.

Elle la suit dans le midi dont les paysages ensoleillés, les champs de vignes à perte de vue, les oliviers centenaires et les hauts cyprés la ravissent. La vue depuis la chambre de Geneviève à Fontès, petit village de l’hérault, lui inspire la fameuse « french window in blue » entre autres.

Plus tard, même séparées depuis des années, Geneviève continuera de l’inspirer.

Françoise Gilot, peintre à l’ambition irréfrénée, prémices d’un avenir glorieux

39-45. La guerre a éclaté. Les deux amies restent inséparables. La beauté irradiante de Geneviève n’échappe à aucun homme et notamment à celle de l’acteur Alain Cuny, tombé sous son charme et devenu un ami.

Un jour de 1943, Alain téléphone à Geneviève pour l’inviter à déjeuner. La jeune femme, pas d’humeur, décline l’invitation. C’est sans compter l’intrépide Françoise qui la somme de le rappeler immédiatement et d’accepter l’invitation. On ne résiste pas aux désirs et encore moins à la détermination de Françoise, qui connaît les codes et la nécessité d’accepter toutes les opportunités dans ce monde artistique encore très machiste.

C’est ainsi que les deux jeunes femmes se retrouvent dans le restaurant, Le Catalan, accompagné de l’acteur Alain Cuny.

Françoise et Picasso : première rencontre

Cuny et Picasso se connaissent. Picasso, amateur de jeunes et belles femmes, ne résiste pas à se les faire présenter. Le maître questionne. « Que faites-vous dans la vie mesdemoiselles. » « Nous sommes peintres » répond sans hésiter Françoise. Picasso est amusé par l’audace de la réplique et ne se doute pas encore qu’il a devant lui une véritable concurrente artistique. Pour lui ce n’est encore qu’une jolie proie à se mettre sous la dent. Françoise est jeune, belle, talentueuse et ambitieuse. Flattée par l’intérêt du grand Picasso, admirative de son œuvre, elle tombera bientôt dans ses filets. C’est le début d’une idylle passionnée et destructrice dont elle sortira quelques années plus tard encore plus forte, accompagnée de ses deux enfants Paloma et Claude.

Françoise et Geneviève : une amitié indestructible

Depuis sa rencontre avec le titan Picasso, Françoise est sur un nuage. Geneviève est plus réservée. Elle se méfie de l’homme, à juste titre.

La France est toujours en guerre. Geneviève rejoint sa famille à Fontès, fait de la résistance en emportant des courriers et paquets dans le maquis à vélo, tandis que Françoise continue de peindre à Paris. Elles s’écrivent de longues lettres. Françoise rejoint Geneviève dès qu’elle le peut pour de courts séjours et en 1946 elles se rendent à Golfe Juan pour rejoindre Picasso. Tandis que Françoise est à la plage, Picasso qui ne supporte pas qu’on lui résiste, tente en vain de séduire Geneviève alors qu’il fait une cour assidue à Françoise depuis leur première rencontre.

Geneviève, outrée et révoltée, tente de convaincre son amie de quitter cet homme si peu respectueux, mais ne veut pas la blesser en lui avouant la vérité (sic). Françoise s’entête, Geneviève quitte Golfe-Juan. Elles ne se reverront que bien plus tard, une soixantaine d’années après, à l’occasion d’une exposition de Françoise organisée dans la région parisienne, en présence de leur ami commun de toujours, Claude Bleynie (1923-2016).

Ce premier amour pur et vibrant qu’a ressenti Françoise à l’aube de sa vie, ne la quittera jamais et sera toujours pour elle source d’inspiration.

Dans le livre Picasso, créateur et destructeur de Huffington Françoise Gilot parlant de son amitié avec Geneviève, confie « Ce n’était pas un amour physique, mais un amour spirituel très profond…Je pouvais imaginer quitter Golfe-Juan avec Geneviève et passer avec elle le restant de mes jours, sans jamais regarder en arrière. Ou bien rester là à affronter le minotaure…si nous avions décidé de partager nos existences, le monde aurait supposé que nous étions lesbiennes, et à cette époque cela voulait dire être totalement rejeté par bien des gens, à commencer par sa famille…elle était la plus belle créature qu’on puisse imaginer, dans le plus pur style grec classique, mais aussi enracinée dans les conventions de cette région de France d’où elle venait, très différente de Paris, même le Paris de 1946. Je craignais que choisir un style de vie aussi peu conventionnel ne risquât de la détruire. »

Elle a donc affronté le Minotaure, laissant partir son amie Geneviève vers d’autres rivages, mais marquée au fer rouge par cette amitié hors du commun et indéfectible. Le 6 juin 2023, elle s’est envolée pour retrouver sa muse qui l’avait précédée dans l’au-delà, depuis quelques années déjà.

Notes de l’auteure de cet article : toutes les photos et lettres viennent des archives familiales de Geneviève Aliquot.

Sources : archives familiales, confidences de Geneviève Aliquot,

Livres : Picasso créateur et destructeur | Arianna Huffington

Vivre avec Picasso | Françoise Gilot, Carlton Lake 

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Christine Jonemann

Directrice de Rédaction de prestiges.international. Elle aime la lecture, l'écriture, les voyages, le partage et les rires entre amis, sa famille et son chat. A publié des livres pour enfants. Est membre de la Société des Gens de Lettres. Secrétaire générale de l'AFJET Association Française des Journalistes et Ecrivains du Tourisme

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