Les fêtes Calendales

Les jours raccourcissent et la nuit devient plus dense. Le soir, le pas s’accélère pour rentrer à la maison, visage enfoui entre écharpe et bonnet. L’hiver et l’obscurité sont là. Noël et ses illuminations aussi ! Plus les jours de décembre s’étiolent et pâlissent, plus les rues, les vitrines, les maisons scintillent et clignotent joyeusement. L’intérieur des foyers s’illuminent encore davantage, comme un pied de nez aux gris de l’hiver. Dehors, pendant que la nature se recroqueville dans un sommeil glacé, la voici ranimée à l’intérieur, jubilante en beau sapin étoilé, en couronnes de houx (symbole de renaissance), en branchages pulvérisés de givre pailleté, et partout, ces boules de verre qui multiplient les jeux de lumières.

Sainte Barbe lance les festivités Calendales pour quarante jours !

Le quatre décembre, jour de la Sainte Barbe, c’est aussi le jour des semailles à la crèche ! Les enfants répandent blé ou lentilles sur un lit douillet de coton humide, dans trois coupelles, les « siestoun » !

Tradition Calendale de la Provence romaine, c’est un rituel de fécondité. Les « siestoun » doivent être arrosés quotidiennement. Aux siècles derniers, dans nos campagnes, leur germination et leur croissance en herbe auguraient des moissons pour l’été à venir. Aujourd’hui on veut y voir un présage de prospérité et de bonheur pour la famille.

Les trois « sietoun » prennent place sur la table du Gros Souper, le vingt-quatre décembre. Montées en graines, les touffes vertes seront entourées d’un ruban jaune et rouge, couleurs de la Provence, le 25 décembre, noué par la maîtresse de maison. Le lendemain, le 26, les « sietoun » reprendront leur place à la crèche, jusqu’à l’Epiphanie.

La Rose de Jéricho, ou « Rose de noël », ou encore « Rose de Judée » est un symbole religieux fort. Importée par les croisés cette plante a une valeur sacrée des plus importantes. Placée sur la table de Noël, dans un verre d’eau, la fleur s’épanouit pendant cinq à dix jours. Après les fêtes, on la retire de l’eau pour la placer dans un endroit chaud. Elle se recroquevillera jusqu’à l’année suivante ! Un an plus tard, on la replace dans un verre d’eau où, à nouveau elle s’épanouira, et cela, pendant plusieurs années consécutives…

La Période calendale

Le Temps de Noël, en Provence, dure quarante jours. C’est la période Calendale. Elle se termine le 2 février, jour de la Chandeleur ! On rangera alors la crèche et les Sietons seront brûlés… Mais revenons à La Sainte Barbe ! Avec elle, c’est le temps de l’Avent qui commence durant lequel on prépare avec ferveur la naissance de l’Enfant Jésus. Noël en Provence est un moment magique qui accommode ses croyances païennes, ses superstitions populaires à sa profonde foi religieuse.

Ses traditions sont un savoureux mélange de tous ces éléments, à la fois naïfs et chaleureux, qui transforme cette période des Calendales en intenses moments de célébrations.

Longtemps parmi les régions les plus pauvres, la Provence transforme ses traditions culinaires, frugales et rustiques, en un joyeux partage autour de la table familiale qui se veut accueillante et généreuse !

Le Gros Souper

Le grand jour du réveillon du 24 Décembre, le Gros Souper, approchant, l’effervescence est à son comble. Rien, aucun geste ne doit être oublié. Ceux-ci accusent, bien sûr, quelques variantes d’un village à l’autre, d’une famille à l’autre, mais ils sont toujours nombreux et riches en symboles.

Il est intéressant de constater à quel point l’imagination et la générosité de ces modestes familles provençales, paysans, petits artisans, de tempérament joyeux porté à rire, ont su transformer leur quotidien si simple en évènement familial et social intensément festif, dans la communion et le partage. Leur foi s’exprime à travers les nombreuses traditions de Noël. Des rituels ludiques réunissent les trois (parfois quatre) générations de la famille. Ces gestes sacrés, auxquels tous participent, sont ceux de la transmission et de l’amour que se doivent mutuellement les membres de la famille, du plus ancien vers le plus jeune.

La table des agapes pour « le gros soupa » !

C’est le souper le plus important de l’année !

Le 24 décembre au soir, la table doit être recouverte de trois nappes blanches, signe de solennité et de pureté, sur lesquelles sont posés trois chandeliers (un pour le Passé, en souvenir de ceux qui ne sont plus là, un pour le Présent, en hommage aux parents et amis, et le troisième dédié au Futur, espérance des enfants à naître). A ceux-ci s’ajoutent les trois « sietoun », évocation de la Sainte Trinité. Le pain Calendal, en rappel de la Cène, est fait de pure farine de blé. Il se rompt et ne se tranche pas ! Jamais ! Et enfin les fameux treize desserts (les douze apôtres et le Christ)

Les trois nappes superposées se succéderont pendant les trois jours de festivité (Les 24, 25 et 26 décembre) !

Le cacho-fio 

La fête commence par la cérémonie du « cacho-fio » : la famille fait trois fois le tour de la table en chantant un chant traditionnel, puis le plus ancien, le Papé, place dans l’âtre une bûche de bois fruitier, souvent de l’amandier. Il lancera le feu, qui devra flamber trois jours durant sans s’éteindre, mais seulement après que le plus jeune de la famille aura, par trois fois, béni la bûche avec le vin nouveau.

Le Gros Souper doit être, par définition, particulièrement copieux, trois à sept mets seront servis, selon les familles. Le chiffre sept évoque ici les sept douleurs de la Vierge. Le souper se compose des modestes richesses du terroir provençal : l’huile d’olive, les fruits secs, les fruits confits et le miel, sans oublier la coûteuse fleur d’oranger indispensable pour les douceurs sucrées.

Très codifié, le Gros Souper est une succession de plats, à la fois simples et authentiques, mais obligatoirement « maigres » : on commence par l’aïgo boulido, bouillon d’ail, thym et sauge, qui sera suivi d’escargots aux épinards, anguille, poutargue de Martigues, morue à la raïto, muge, céleri à l’anchoïade, chou-fleur en potage ou en gratin, gratin de courge, ou gratin de cardons aux anchois !

Un couvert supplémentaire est dressé pour le mendiant qui viendrait à passer et que l’on se doit d’accueillir…

La nuit de Noël en Provence, aucune porte n’est jamais « barrado », fermée avec la barre. C’est une nuit de partage et d’hospitalité

Les 13 desserts, apothéose du « Gros Soupa » ! La fougasse ou le gibassier (une galette) ou la pompe à l’huile (plus proche de la brioche) sont incontournables ! Tout comme le pain Calendal, ils doivent se rompre à la main et jamais se trancher au couteau !

Les quatre mendiants, à savoir les raisins secs, les figues sèches, les amandes et les noix et noisettes, représentent le quadrige mendiant des ordres monastiques. Les raisins secs représentent l’ordre des Dominicains, les figues sèches représentent les Franciscains, les amandes représentent les Carmélites et les noix et noisettes représentent les Augustins. Une noix ou une amande piquée dans une figue sèche devient le nougat du capucin ! Prunes, poires, pommes, cédrats confits, pâte de coing, nougat noir et blanc, le melon jaune gardé tout l’automne sur un lit de paille, dans la grange avec le raisin de la treille, suspendu au-dessus du melon, la grappe à l’envers, l’orange, la mandarine fruits luxueux au XIXe siècle, tout comme les dattes venues d’Orient, habilleront la table de leur abondance et de leurs chatoyantes couleurs. Les treize desserts sont accompagnés de vin cuit.

Ces ripailles familiales sont servies avant la messe de minuit. Au moment de s’y rendre, on replie les quatre coins des trois nappes superposées sur les victuailles que l’on laisse en place pour la nuit. Et, au retour de la messe, une fois la maisonnée profondément endormie, les âmes des défunts et les anges viendront festoyer à leur tour.

Les temps changent

Aujourd’hui la profusion déversée par nos supermarchés a considérablement fait évoluer, ou oublier, ces traditions issues d’un monde paysan, rural ou citadin révolu du XIXe siècle.

Les cheminées ayant disparues la bûche se sert en dessert et le père Noël passe par les balcons ! L’avalanche de cadeaux connectés, créateurs de liens artificiels, voire virtuels, toute cette technologie coûteuse venue des quatre coins du monde et pesant sur l’empreinte carbone, cette avalanche donc, a remplacé la chaussette garnie d’une orange ! Les vins fins et le champagne relèguent le vin doux sur l’étagère des souvenirs d’antan, avec toutes ces jolies traditions qui illuminaient, réchauffaient et animaient si joyeusement les familles lors de cette fête de la Nativité, fête de l’espoir de Paix universelle et de fraternité.

Les temps changent, les traditions évoluent, se mondialisent, et la terre continue à tourner !

Mais la magie de Noël perdure, résiste et remplit toujours d’étoiles les yeux des petits enfants qui, chaque 24 décembre, n’oublient pas de mettre leurs petits souliers au pied du sapin !

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