La Dernière Bande : Jacques Weber déchirant de vérité

Texte : Christine Jonemann
 

C’est au théâtre de l’œuvre, qu’est présentée depuis le 19 avril la pièce magistrale de Samuel Beckett, la dernière bande, dans une non moins magistrale mise en scène de Peter Stein, qui a décidé de revenir aux didascalies initiales de l’auteur, notamment en réinvestissant les éléments clownesques qui avaient été fortement réduits au fur et à mesure des représentations, selon la volonté même de ce dernier.

 

Une décision audacieuse

La décision de Peter Stein de revenir à la mise en scène originelle semble convenir parfaitement au grand acteur qu’est Jacques Weber, qui nous fait une démonstration de haute voltige pendant une heure, oscillant entre le clown facétieux, le vieillard sénile, puis – par la magie de la voix de Krapp enregistrée tous les ans le jour de son anniversaire -,  l’amoureux transi, ou encore le fils malheureux de 39 ans qui veille sa mère mourante et dont le regard est cependant attiré par les yeux et les seins d’une bonne présente sur les lieux. Les éléments clownesques qui apparaissent au début de la pièce s’estompent peu à peu pour faire apparaître de façon encore plus subtile la fragilté et le désarroi du vieillard. Mais c’est bien ce clown un peu ridicule glissant sur une peau de banane et envoyant un regard espiègle au public, (applaudissez-moi, semble-t-il dire, et on applaudit de bon coeur) qui nous permet d’entrevoir la complexité du personnage, ses antagonismes, en un mot, sa condition humaine.

 

Un acteur de génie

Jacques Weber transcende la pièce, ne fait plus qu’un avec Krapp. Tandis que la salle se remplit peu à peu, que les spectateurs cherchent leur place, se lèvent, se rassoient, à l’avant-scène, un vieillard est assis la tête au creux de ses bras posés sur un burau de métal sombre. Sa chevelure blanche en bataille fait écho à ses chaussures de couleur claire qui laissent deviner des pieds gigantesques. La carrure de l’homme est impressionante. Il semble dormir et pourtant remplit tout l’espace; son mutisme même est impressionnant, assourdissant, encore plus assourdissant lorsque le noir est tombé sur la salle, que les spectateurs se sont enfin tus et attendent dans un silence quasi religieux que se passe…quoi exactement?

Encore quelques secondes de silence immobile, puis Weber-Krapp nous fait découvrir un visage blafard d’où émerge un nez rouge et clownesque. Mais pour le moment personne ne rit, le vieux semble si fatigué, sa main tremble, l’élocution est difficile, faite de borborygmes et grognements.

Puis viendra l’instant de la banane jetée dans le public médusé, encore quelques pantomimes burlesques de l’homme clown qui peu à peu laisseront place à l’homme Krapp, incertain, velléitaire, hargneux, amoureux, jeune, vieux, usé par le temps, dédaigneux du haut de sa jeunesse, furieux contre l’autre lui-même qui n’a pas su déguster les instants magiques de la vie. Le magnétophone semble doué d’une âme, Weber-Krapp l’insulte, déchire la bobine de ses 20 ans, en reprend une autre; entre bruit et silence, entre paroles et grognements, entre obscurité et lumière, entre noirs et blancs, entre espoirs et désespoirs, amours et solitude, c’est la vie de chacun et la venue de la mort, inéluctable.

 

Adieu Krapp, bravo Jacques Weber

Mort inéluctable mais sereine au souvenir de la femme aimée, – en l’occurrence le baffle – que le vieillard serre sensuellement entre ses bras avant de faire un ultime adieu à la vie.

Mais avant de s’envoler vers l’au-delà, il nous aura fait vibrer au rythme de ses sentiments grâce au jeu incomparable du grand Weber qui jusqu’au bout, nous aura tenus en haleine, par sa présence, ses moues, ses gestes parfois incertains, parfois impérieux, ses regards perdus, avides, impatients, douloureux, les modulations de sa voix fêlée, rocailleuse, imperceptible, se mourant dans un souffle, puis reprenant son ardeur au rythme de ses emportements, de ses souvenirs, de sa solitude.

Du grand art, assurément !

RENSEIGNEMENTS

Théâtre de l’Oeuvre

Adresse : 55 Rue de Clichy, 75009 Paris
Capacité : 326

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Christine Jonemann

Directrice de Rédaction de prestiges.international. Elle aime la lecture, l'écriture, les voyages, le partage et les rires entre amis, sa famille et son chat. A publié des livres pour enfants. Est membre de la Société des Gens de Lettres. Secrétaire générale de l'AFJET Association Française des Journalistes et Ecrivains du Tourisme

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