LE JEU DE PAUME : UN TRÉSOR HISTORIQUE AU CŒUR DE PARIS

 

Texte Pierre Passot

Photos Liesbeth.Passot-Kanbier

Au dernier étage du 74 ter rue Lauriston, dans le XVIe arrondissement, une centaine d’aficionados pratique le jeu de paume, ce sport d’un autre âge, dans la seule salle existant encore à Paris, les trois autres étant situées à Bordeaux, à Pau et au château de Fontainebleau. Gil Kressmann, président d’honneur de ce club plus que centenaire nous en a ouvert les portes pour nous le faire découvrir.

Façade de l’immeuble du Jeu de Paume rue Lauriston

Alors que la longue paume se pratique en plein air sur un sol en terre battue, la courte paume se joue entre quatre murs sur un sol en dur dont les dimensions avoisinent celles d’un terrain de tennis, et la hauteur sous plafond ou verrière, proche d’une quinzaine de mètres. Ce sport s’exerce en simple ou en double. Le filet central est concave. La raquette en bois de hêtre est légèrement excentrée. Son cordage est très tendu pour renvoyer des balles de la taille de celles utilisées au tennis mais pleines, donc beaucoup plus lourdes (75 grammes). Seule la violence des coups donnés permet de les faire rebondir.

Filet d=central concave et raquette légèrement excentrée


À l’inverse du tennis dont le jeu de paume est à l’origine, comme de tous les autres jeux de balle, ce sport se joue aussi, tel le squash, avec les murs. C’est une sorte de tennis en trois dimensions avec certains accidents rendant les rebonds venus des angles, plus difficiles à prévoir. Et, selon l’endroit ou tombe la balle, le joueur qui la reçoit aura intérêt ou non à la reprendre s’il estime pouvoir faire un meilleur point un coup suivant, après un changement de service.

De là viendrait l’expression ”Qui va à la chasse perd sa place”, la chasse étant l’espace à reconquérir sur le court quand on n’a pas, volontairement ou non, renvoyé la balle après un premier rebond. C’est l’une des règles les plus difficiles à comprendre et à appliquer dans ce jeu dont la complexité aurait pu être le fait des inventeurs du cricket.

 

”Épater la galerie”, ”Rester sur le carreau”, ”Jeu de main, jeu de vilain”, ”Prendre la balle au bond”, sont autant d’expressions nées du jeu de paume et entrées dans notre vocabulaire quotidien. Gil Kressmann en a relevé plus d’une centaine dans son livre Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le tennis et autres jeux de balle sans savoir où le trouver, paru aux éditions Artena.


Les premières preuves d’existence du jeu de paume remontent au Moyen Âge. Dans les cloîtres des monastères, les jeunes moines se divertissent en jouant avec des balles de tissus, appelées ”esteufs”, utilisant le sol, les murs et les poutres. Les étudiants suivront leur exemple dans la rue, en y incluant les auvents et peut-être même certaines fenêtres, marquant un point si une ”belle” y apparaît… Peu à peu, ce jeu que l’on nomme paume parce que pratiqué à main nue, se développe un peu partout. Les batisseurs de cathédrales y jouent pendant leurs pauses et les rois s’y adonnent, tel Louis X qui, en 1316, meurt pour avoir bu trop d’eau froide après une partie. En 1480, Louis XI commence à réglementer le jeu de paume et la fabrication des esteufs, suivi en cela par Henri IV qui, le 15 octobre 1594, crée la corporation des maîtres-paumiers. Parallèlement, les balles se durcissent et, pour jouer plus fort, on utilise un gant, puis un battoir, puis une raquette.


Au XVIe siècle, on compte en France 500 salles de jeux de paume (dénommées tripots), dont 250 à Paris. Mais si François Ier et Henri IV ont été de grands joueurs, Louis XIV s’en désintéresse, préférant le billard dont le monopole sera donné aux maîtres-paumiers. Cette désaffection signe le début du déclin populaire du jeu de paume. En 1657, il n’y a plus que 114 salles à Paris. Elles seront souvent reconverties en théâtres pour n’être plus que 12 au XVIIIe siècle et 2 après la Révolution, dont celle devenue aujourd’hui le Théâtre Déjazet.
Une souscription fut lancée avec succès auprès des derniers joueurs, qui aboutira à l’ouverture en 1840 d’une nouvelle salle dans le passage Sandrié. Malheureusement, en 1861, ses membres doivent l’abandonner, le passage en question étant situé sur l’emplacement où Charles Garnier doit construire son nouvel opéra. Les joueurs de paume en appellent alors à l’empereur Napoléon III qui leur accorde l’autorisation d’édifier, à leurs frais, un bâtiment qui devra respecter l’architecture de celui de l’Orangerie, place de la Concorde, dont il sera le pendant. Les travaux sont achevés le 15 janvier 1862, et la partie inaugurale lancée le 29. Le succès de ce premier ”carreau” aux Tuileries est réel.

17 passage sandrie high res color cropped

 

En 1878, il faut construire une deuxième salle dans le prolongement de la première. Le 3 décembre 1894, les membres du Cercle du Jeu de Paume des Tuileries, descendants des joueurs du passage Sandrié, créent la Société Sportive du Jeu de Paume, l’une des plus anciennes de Paris avec le Racing Club et le Stade Français. Nouvel évènement fâcheux pour les joueurs, au début du XXe siècle : la République décide de récupérer les deux salles des Tuileries pour y installer un musée ! Le Cercle trouve alors un terrain disponible rue Lauriston dans le XVIe pour la construction de deux nouveaux courts de paume, terminés en 1907.

 

La hauteur du bâtiment est impressionnante du fait qu’il faut une grande quantité de lumière pour éclairer les salles. Comme il y avait de nombreux Américains résidant à Paris parmi les membres du Cercle, on peut penser qu’en souhaitant deux courts sous verrière, ils se sont inspirés du Racquet and Tennis Club de New York fondé en 1891 et situé aujourd’hui au 370 Park Avenue. À chacun de ses passages dans la capitale, le Prince de Galles, futur roi Edward VIII, vient jouer au club de la rue Lauriston, souvent accompagné de son frère, le futur roi Georges VI.
Puis les joueurs de paume américains et anglais qui fréquentent ce lieu y introduisent un nouveau sport encore quasiment inconnu dans notre pays : le squash racquets. Après étude, les quatre premiers courts de squash de France seront inaugurés début 1927, à l’emplacement d’un des deux courts de paume ”sacrifié” sur l’autel de la modernité.

Une hauteur sous plafond verrière impressionnante

Grâce à cette nouvelle activité sportive, le nombre de membres augmente, et le 16 janvier 1929 est constituée sous forme d’association la Société Sportive du Jeu de Paume et de Racquets. La rue Lauriston accueille alors de grandes compétitions et tournois, tant en squash qu’en paume, dont la célèbre Coupe Bathurst. À l’image de la Coupe Davis, elle est disputée tous les deux ans entre les meilleures équipes nationales d’Angleterre, d’Australie, des États-Unis et de France.
Aujourd’hui, dans son décor chaleureux, très cosy, fait de bois et de cuir, un peu hors du temps, le Club du Jeu de Paume de Paris compte environ 300 membres pratiquant soit la courte paume, soit le squash, soit les deux. De nombreuses femmes, enfants et ados en sont aussi devenus adeptes.

Décor chaleureux, très cosy, fait de bois et de cuir

Et beaucoup de célébrités viennent y mouiller leur chemise dans des matchs acharnés, dont, en octobre 2018, Son Altesse Royale le prince Edward de la cour d’Angleterre venu jouer à la paume au club de Paris ainsi qu’à celui de Fontainebleau dans le cadre de sa tournée des plus de 50 courts sur les 4 continents. Selon la maxime, souhaitons donc maintenant longue vie à ce jeu des rois et roi des jeux !

LIRE :

La Riche Histoire du Club du Jeu de Paume de Paris, 1840-2020, paru chez Saxo éditions. Auteurs : Gil Kressmann et Hubert Demory

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le tennis et autres jeux de balle sans savoir où le trouver, paru aux éditions Artena. Auteur Gil Kressmann

 

 

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Christine Jonemann

Directrice de Rédaction de prestiges.international. Elle aime la lecture, l'écriture, les voyages, le partage et les rires entre amis, sa famille et son chat. A publié des livres pour enfants. Est membre de la Société des Gens de Lettres. Secrétaire générale de l'AFJET Association Française des Journalistes et Ecrivains du Tourisme

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