Fontevraud : l’abbaye d’un frondeur
A une encablure de Saumur, la plus grande cité monastique d’Europe abrite un hôtel sobre et classieux, qui ne laisse rien deviner de son baroque créateur : un prêtre iconoclaste qui aima tellement les femmes qu’il les hissa à la tête de son Abbaye.
Le fondateur s’appelle Robert d’Arbrissel. Curé breton et charismatique, il fait l’objet d’un mandat de prédication du pape Urbain II en l’an de grâce 1096. Sa carrière est lancée au grand dam de la société féodale. Le personnage haut en couleur n’est pas en odeur de sainteté. Côté Évêché, on regarde d’un mauvais œil l’ascension du trublion. Peu lui importe puisqu’il dépend de la royauté et du Saint Siège qui le soutiennent.
L’agitateur social va s’en donner à cœur joie, semant son verbe divin ici, et récoltant là, autant l’admiration que l’irritation. Il faut dire qu’il exerce de manière peu banale, sa profession de foi. Le curé n’hésite pas, par exemple, à payer de sa personne pour rédempter les brebis égarées. Il entre sans se cacher dans les bordels pour y faire des conversions. C’est le levain de son pain. Succès ! Les foules l’acclament et le suivent. Après des années d’itinérance, Robert d’Arbrissel s’installe avec ses disciples à Fontevraud où il fonde un ordre
mixte avant-gardiste.
Et surtout ouvert à tous. Nobles et gueux, hommes et femmes vont ainsi cohabiter pendant sept siècles sous la direction successive de 36 abbesses. L’ordre fontevriste essaimera dans toute la France et en Europe. Robert d’Arbrissel poursuivra toute sa vie le mythe fondateur d’une cité à vivre. Un idéal qui a su séduire le peuple comme l’aristocratie.
En témoignent, sous la nef de l’église abbatiale, les gisants d’Aliénor d’Aquitaine, d’Henri II et de Richard Cœur de Lion. Mais c’est à Napoléon Bonaparte que l’Abbaye doit sa survie.
En la transformant en prison au 19ème siècle, Napoléon la sauve du sort de Cluny, convertie en carrière de pierre et, en grande partie détruite. Fontevraud restera une cité pénitentiaire jusqu’en 1963 (voire les années 70). Depuis la vénérable institution enchaîne les chantiers de restauration.
Classée au patrimoine mondial de l’Unesco, en 2000, elle s’est ouverte au 21ème avec un emblématique « Pôle énergétique ». Enterré et coiffé d’un théâtre de verdure, ce projet durable, loin de soustraire Fontevraud comme bon nombre de Monuments historiques aux défis environnementaux, les intégre. Ainsi va cette cité distribué sur treize hectares, où l’ ensemble de quatre prieurés s’organise autour d’un cloître, posé au centre du monastère pour desservir abbatiale, salle capitulaire, réfectoire, cuisines et dortoirs.
Le prieuré Saint-Lazare est bordé d’un parc paysagé et d’un verger. La chapelle, la salle
capitulaire et le réfectoire qui en dépendent sont également articulés autour d’un cloître.
Seul le bâtiment du Pavillon du Liban s’en détache et s’ouvre sur les anciens jardins médicinaux créés au XVIII ème siècle pour accueillir des essences rares. C’est dans ce cadre millénaire que l’agence Jouin Manku a fait naître un hôtel de luxe qui entretient un dialogue contemporain très fort entre le 12ème et le 21ème siècle.
Entre architecture gothique et concept futuriste, l’établissement ultra design s’incarne parfaitement dans l’enveloppe monacale. Avec son restaurant et son chef confirmé et consacré, Thibaut Ruggeri, primé Bocuse d’or en 2013 , son Ibar aussi zen qu’high-tech tech, on y sirote l’apéro sur des écrans tactiles, son bar à vin qui met à l’honneur les petits producteurs locaux, son orangerie et son programme culturel, c’est peu dire que l’Abbaye revit et re-vibre jour et nuit puisque l’abbatiale reste ouverte à ses clients 24h/24H. Privilège suprême que celui d’aller tenir la chandelle à Aliénor en pleine nuit.