Félix FENEON, Les Arts Lointains
Du 28 mai au 29 septembre 2019 a lieu une exposition, petite mais charmante, au musée du quai BRANLY-Jacques CHIRAC, sur Félix Fénéon et les « arts lointains ».
Il faut avouer que le tour de cette exposition est un peu trop vite fait, nous laissant sur notre faim. En effet, elle ne présente guère qu’une centaine des 500 pièces que devait comporter la collection de Fénéon. Alors, n’hésitez pas à faire un deuxième tour pour bien vous imprégner de son charme désuet et vous laisser séduire par la finesse des superbes étriers de poulies et la force et la sobre pureté des splendides statues du Gabon :
Admirez également ces graines sculptées et ces ravissantes petites cuillères.
La beauté de ces objets usuels nous en dit long sur l’adresse de ces artisans du bout du monde et sur le goût de ces populations exotiques qui ne sacrifient pas la beauté à l’utile.
Prenons en de la graine…sculptée.
Outre de belles pièces africaines on trouvera pêle-mêle de gentilles aquarelles de Lucie Couturier, un tableau de Max Ernst, 3 Seurat, grand protégé de Fénéon, des affiches etc..
Ne manquez pas également deux petites merveilles de films d’époque qui vont vous plonger en plein zazouisme . Joséphine Baker roulant des yeux en dansant, extraordinaire !
C’est cet éclectisme qui ressemble bien à Fénéon et nous plonge de la belle époque à l’explosion des Zazous (Zah zuh zah de Cab Caloway).
On éprouve sans doute le même sentiment, le même tournis que si l’on pénétrait chez Fénéon ce grand hyperactif lui-même.
Tous les grands amateurs d’art venaient visiter les collections de Fénéon et c’est ainsi que John Rewald – alors jeune historien de l’art décrit là son expérience : « Elle était bien là, tout autour de nous, la collection qu’il avait réunie pendant plus d’un demi-siècle. Les murs de l’entrée étaient tapissés de tableaux dont les cadres se touchaient presque. Une nature morte de Matisse, un Vuillard du début, des paysages de Bonnard et de Signac émergeaient de derrière un assortiment de sculptures africaines. […]. Je me souviens […] d’un grand nu de Modigliani allongé au-dessus du piano droit comme pour mieux écouter la musique et des sculptures africaines accumulées sur le dessus de la cheminée et dans des vitrines.
Un des grands mérites de cette exposition est de nous faire découvrir l’évolution de l’art à la charnière du XIXème et du XXème, au travers des yeux de l’un de ses grands artisans, et de nous faire comprendre le rôle majeur qu’ont eu les grands marchands d’art, les collectionneurs et les critiques dans l’évolution de la sensibilité artistique d’une époque.
Ainsi, Paul Guillaume, important marchand de tableaux et de « bois noirs », et son mentor Guillaume Apollinaire, tous deux grands amis de Félix, publient-ils le premier livre sur La sculpture noire.
Trois ans plus tard, Paul Guillaume organise au Théâtre des Champs-Élysées une « Fête nègre » qui réunit les grands noms du monde intellectuel et artistique parisien. Cette fête est considérée comme l’acte de naissance de la mode de l’art africain à Paris.
Au même moment Fénéon publie dans Le Bulletin de la vie artistique : « Seront-ils admis au Louvre Enquête sur les arts lointains »
luttant sur le plan sémantique contre les dénominations par l’impérialisme européen d’« art nègre », d’« archaïsme » et d’ensauvagement » infligées aux cultures extra-occidentales– Fénéon devient La Référence en matière d’art.
Une anecdote racontée par Monsieur Peltier, l’un des deux commissaires de l’exposition en rend bien compte : Appolinaire viens chercher Fénéon et lui demande son avis sur un tableau en lui disant : » je ne sais qu’en penser ». Il s’agissait des demoiselles d’Avignon. En partant, Fénéon lâche à Picasso : « vous avez un grand avenir dans la caricature « ! 40 ans plus tard, Picasso aurait dit : « Au fond il avait raison ». Admettons qu’il se soit un peu trompé sur Picasso, il est dommage cependant que cela n’ait pas incité Picasso à revenir à sa période bleue ou rose, on aurait peut-être eu des périodes fuschia ou Turquoise…
Toujours est-il qu’à partir de cette époque, les bijoutiers imitent les ornements d’Afrique, les arts décoratifs s’en inspirent, les orchestres de jazz enflamment les cabarets tandis que les masques traditionnels envahissent couvertures de livres et de magazines.
La mode Zazou est lancée.
MAIS ATTENTION, UNE EXPOSITION PEUT EN CACHER UNE AUTRE…
et il fallait bien une deuxième exposition pour rendre compte d’une personnalité aussi complexe et riche que celle de Félix Fénéon.
En effet, il a tenu un rôle majeur dans la reconnaissance et la diffusion de la modernité artistique et littéraire.
Intime de Mallarmé, de Seurat, de Signac, il édite Les Illuminations de Rimbaud, propulse la carrière de Matisse.
Par sa plume incisive et nette, par son discernement et ses talents marchands, le symbolisme, le néo-impressionnisme, le fauvisme, le futurisme acquièrent une place majeure dans l’histoire de l’art.
Félix Fénéon (1861-1944). Les temps nouveaux de Seurat à Matisse, le volet de l’exposition proposée au musée de l’Orangerie du 16 octobre 2019 au 27 janvier 2020, rend plus spécifiquement compte de la position d’avant-garde tenue par Fénéon, jusque dans ses dimensions politiques et évoque les convictions anarchistes de Félix Fénéon et son action en faveur des artistes à travers ses critiques, expositions et acquisitions.
Promoteur du Néo-impressionnisme, Fénéon a défendu avec passion un art nouveau à travers les œuvres de ses amis pointillistes, Seurat et Signac en particulier. Il fut également un membre actif du cercle de La Revue blanche avant de s’engager, en 1906, aux côtés des Fauves et des Futuristes à l’époque où il était directeur artistique de la galerie Bernheim-Jeune.
De la révélation des arts non-européens à la publication des Illuminations de Rimbaud en passant par la défense des symbolistes et l’émergence d’un nouvel ordre esthétique, cette exposition en deux temps célèbre la sensibilité moderne de Félix Fénéon, à la fois passeur et découvreur.
Attendons la suite…
Et si vous appréciez l’art Africain, je vous recommande la visite d’un musée très injustement méconnu, le musée Dapper (cf mon article : https://prestiges.international/perle-secrete-de-paris/)