« Sérotonine » de Michel Houellebecq : un roman sensible et social
Texte : Corinne Carour
« Sérotonine » constitue le 7ème roman de l’écrivain français le plus lu à l’étranger. Quatre ans après le sulfureux « Soumission », le Goncourt 2010 pour « La carte et le territoire » signe un roman émouvant.
La sérotonine : l’hormone du bonheur
Cette hormone existe naturellement en nous mais Florent-Claude, le héros très houellebecquien de Sérotonine, doit en prendre sous forme chimique. La prise régulière de Captorix, un antidépresseur particulièrement efficace, lui permet de survivre mais lui ôte toute libido. Aussi, le sexe passe au second plan : c’est l’amour qui inspire Houellebecq dans ce dernier opus.
Un héros tragique
« Dénué au fond de raisons de vivre comme de raisons de mourir », Florent-Claude, âgé de 46 ans, quitte sa maîtresse infidèle et son poste au ministère de l’agriculture. Il vit à l’hôtel dans un premier temps puis décide de s’installer en rase campagne pour intégrer un organisme agricole, retrouver son seul ami (avec qui il a fait agronomie) et surtout les femmes qu’il a aimées. Mais ce qui aurait pu être le départ d’une nouvelle vie marque le début de la chute : chagrin d’amour, dépression, perte de repères et solitude usent le héros.
Un monde en déclin
Comme toujours, Houellebecq passe du micro au macro, de l’individuel au collectif. A travers le personnage désespéré d’Aymeric, aristocrate devenu paysan, le roman devient politique : les questions du protectionnisme et de la mondialisation deviennent centrales. Une fois encore, le livre est au cœur de l’actualité : les manifestations jusqu’au-boutistes des paysans rappellent celles des gilets jaunes. Côté cœur, les tragédies sentimentales de Florent-Claude s’élargissent, s’approfondissent pour décrire les difficultés des relations homme-femme et des relations sociales, dans leur ensemble.
Désespoir et drôlerie
Lire Houellebecq est un plaisir étrange. Son style pince-sans-rire, à la fois réaliste et poétique, est inimitable. Une relation très forte s’établit alors entre l’auteur et le lecteur. Outre le personnage principal, une incroyable galerie traverse le roman : son ami paysan suicidaire, le loufoque docteur Azote, une ancienne maîtresse devenue alcoolique, un allemand pédophile et la touchante Camille, son amour perdu.
La mélancolie, le bonheur d’être triste
Ainsi, « Sérotonine » déclenche régulièrement des éclats de rire, mais c’est aussi un livre d’une profonde mélancolie. Car le héros est hanté par le suicide, le néant, l’absence de sens et de Dieu. Le bonheur semble exclu : « Plus personne ne sera heureux en Occident. Nous devons aujourd’hui considérer le bonheur comme une rêverie ancienne, les conditions ne sont tout simplement plus réunies ». Comme tant de lecteurs dans le monde, j’aime infiniment déprimer avec Michel Houellebecq. En comparaison, on ne se trouve pas si mal loti…