Les bonnes manières à la française au Château de Cheverny

On peut visiter en famille cet élégant château du Val de Loire du XVIe siècle pour de multiples raisons. J’y suis retournée cet été pour suivre l’atelier animé par Sophie de La Bigne, experte en savoir-vivre, qui nous a fait découvrir les codes de bienséance et du savoir-vivre français, autour d’une grande table dans la Salle des Trophées.

Salle des Trophées (c)Château de Cheverny

Un moment convivial où l’on apprend de quelle façon cet art de vivre a essaimé dans cette région puis comment il s’est codifié. Les festivités organisées au XVe siècle par les souverains, les ducs de Bourgogne, la Cour d’Espagne, l’Italie, étaient une façon d’affirmer grandeur, force et puissance. Elles devaient être fastueuses pour que cela frappe les esprits et qu’on puisse en relater. Les bonnes manières à la française relèvent d’une tradition lointaine et fédératrice qui remonte à la Renaissance et qui a évolué au cours des siècles.

 

2020 sera l’année de l’Art de Recevoir

Tel est le choix de la Marquise de Vibraye, propriétaire de Cheverny, d’aborder ce thème : « Notre pays est un modèle lorsqu’on parle des arts de la table, de la gastronomie, du raffinement, de l’esthétisme et de l’élégance. Ce savoir-être et ce savoir-vivre font notre renommée à l’international. Le Château de Cheverny se devait de célébrer ce fameux art de vivre à la française ! » souligne Constance de Vibraye.

Le Château de Cheverny(c)MF Souchet

Remontons dans le temps, de l’histoire à la pratique :

Sophie de La Bigne nous cite quelques grands moments.  Comme le dîner fastueux le plus célèbre de la fin du Moyen-Age nommé « Le Dîner du Faisan » à Lille : le souverain était sous un dais d’or et d’argent, ses invités sous des tentures, joutes et scènes théâtrales se succédaient entre les plats servis dans une splendide vaisselle.

Puis la Cour d’Espagne en pleine apogée adopte le rituel bourguignon pour

Vaisselle Château de       Cheverny

ses festins : arrivent des Amériques des cargaisons d’épices, d’or et d’argent.

Ce rituel va essaimer jusqu’en Italie en plein essor culturel, artistique et intellectuel et va inspirer les Rois de France particulièrement Charles VIII ébloui par les palaces, les jardins, vergers, agrumes…et revient avec des écrits. Cela a bien évidemment un retentissement dans le royaume de France dont les souverains vont perpétuer ce rêve italien.

François 1er, intéressé par la beauté artistique, fait venir les élèves de Michel-Ange et Léonard de Vinci. L’embellissement des châteaux de la Loire -mais aussi du Louvre et du château de Fontainebleau- démarre avec François 1er. Les châteaux ne sont plus forteresses et places fortes mais deviennent des « châteaux de plaisance » agréables à vivre. Outre les jardins, il est intéressé par tout ce qui est exotique : il introduit « la poule dinde » qui deviendra La Dinde. C’est le premier qui élève la gastronomie au rang d’art.

Le mode de vie devient raffiné, la Cour se déplace dans les châteaux de la Loire. C’est aussi à Fontainebleau qu’il reçoit son grand rival Charles Quint afin de l’éblouir : ne fait-il pas recevoir Charles Quint par des personnes déguisées en dieux et déesses des bois, bref on est en plein tableau de Botticelli !

Arrive Catherine de Médicis qui se marie avec Henri II (fils de François 1er) qui apporte dans ses malles une débauche de produits : artichauts, asperges, ravioles… Mais Henri II meurt, néanmoins elle reste présente et toute une série de dîners se succèdent dans les châteaux notamment à Chenonceau. La délicatesse et le raffinement de ces soirées acquièrent une dimension internationale : l’étiquette commence à se mettre en place et c’est Henri III son troisième fils qui codifie à l’extrême le protocole : « l’étiquette à la française » naît.

Signalons aussi qu’elle était arrivée avec le symbole de l’élégance à table, c’est-à-dire « la fourchette », méconnue en France bien que François 1er l’eût aperçue à un banquet à Venise. Mais rien ne se passe comme prévu car l’Eglise interdit son utilisation dans les couvents car elle incite au péché de gourmandise. Pour quel motif ? rien n’est plus facile de piquer les fruits confits (cette gourmandise au sucre qu’on découvre à la Renaissance).

Sophie de La Bigne évoque les apports des Cours européennes : au XIXe siècle arrive de la Cour de Russie le « menu à la russe » que la France va ensuite s’approprier et qui deviendra à Versailles le « menu à la française » c’est l’apparition de la première chronologie des plats : entrée, plat, dessert. Cet art de vivre français perdure aujourd’hui dans le protocole mis en place dans les grands dîners officiels du Quai d’Orsay ou au Palais de l’Elysée.

Atelier pratique dans la Salle des Trophées

Depuis l’invitation, la date et l’heure du dîner, le nombre et le choix des invités (en principe des personnes qui ont au moins une raison de se rencontrer), le dressage des couverts et des verres, le plan de table, les places d’honneur, le cadeau à apporter, l’apéritif, le passage des plats et du pain, ceux dont on se ressert ou non, le maintien à table, jusqu’à l’après-dîner au salon.

Les maîtres et maîtresses de maison doivent garder l’idée qu’ils sont responsables du bonheur de leurs invités du début jusqu’à la fin de la soirée restant attentifs à leurs besoins et jusqu’à la façon dont ils repartent chez eux en toute sécurité.

Questions à Sophie de La Bigne, notre experte

L’art de recevoir : qu’en est-il de nos jours ?

L’art de recevoir continue à être mis à l’honneur et pas uniquement dans les Châteaux de la Loire ou au Palais de l’Elysée ! Les réceptions sont le plus souvent au dîner : on a plus de temps pour boire le champagne qui va délier les langues. Ce n’est pas tant le menu qui est important. Vous n’êtes pas invité pour venir manger des plats mais pour votre conversation : « un dîner sans conversation n’est qu’un repas de fauves ». Ce qui compte c’est le fait de s’amuser, de s’informer sur de nouveaux sujets, de rencontrer de nouvelles personnes qu’on aura plaisir à revoir, c’est en cela que la réception prend tout son sens.

Couvert dressé(c)MF Souchet

Comment se font les invitations ?

Pour un dîner officiel vous recevrez une invitation écrite sur carton mais, la plupart du temps, vous serez invité oralement ou par téléphone, sms, mail, courrier postal et vous y répondrez par le même support.

Est-il de bon ton de prendre du personnel pour servir ?

C’est rare mais on peut faire appel à des élèves d’écoles hôtelières pour se faire aider. L’idée c’est de passer les plats naturellement mais en respectant des règles de préséance : par exemple, les femmes sont servies avant les hommes, la maîtresse de maison est la dernière femme servie, et le maître de maison le dernier homme servi.

Le savoir-vivre est-il à la portée de tous ?

Il n’est pas réservé qu’à une élite ! Tout le monde peut appliquer les bonnes manières au quotidien, c’est le contraire de l’argent ou du luxe, il signifie une façon de vivre agréablement ensemble, de prêter attention aux autres, de respecter nos aînés, de pratiquer l’art de la conversation.

Les civilités de base, c’est de laisser sa place à une personne âgée, et le fait qu’un homme se lève quand une femme arrive dans une pièce permet de garder cette tradition qui fait réellement partie de notre culture, de notre patrimoine. C’est vraiment l’aspect immatériel de notre civilisation qui est universel.

Peu importe si vous ne disposez pas d’une vaisselle en porcelaine, de verres ou de bougeoirs en cristal, de couverts en argent avec blason : l’important c’est que vous dressiez une jolie table pour créer une ambiance féérique et que vos invités reconnaissent que vous avez fait un effort pour eux.

Lors de votre atelier vous avez insisté sur le partage d’idées par la conversation : y a-t-il des sujets à ne pas aborder pendant la soirée ?

Dans le cas de dîners formels (pas entre amis) certains sujets sont à éviter parce qu’ils sont polémiques : Politique, Argent, Religion. Ce qu’on appelle le PAR.

Comment apprend-t-on le savoir-vivre ?

Généralement par transmission familiale, mais tout le monde n’a pas cette chance. Je recommanderais des ouvrages réédités écrits fin du XIXe ou au début du XXe siècle. Le premier Traité d’Education destiné aux enfants fut écrit par Erasme, on peut y lire « être respectueux envers ses parents, ne pas lécher son assiette comme les chats, ne pas sucer les os comme les chiens ». Vous pouvez consulter aussi des sites web ou écouter des émissions de radio ou télévision.

L’art de vivre, ce n’est pas l’art de paraître, mais l’art du savoir être.

Informations

Château de Cheverny

41700 Cheverny

Val de Loire

Ateliers Les bonnes manières à la française

En petits groupes. Mesures de distanciation physique respectées et lieux nettoyés selon la règlementation en vigueur.

Les dimanches de septembre 2020

Tél 02 54 79 96 29

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