L’étranger revisité par François Ozon
D’après le roman d’Albert Camus
Texte Joëlle Adani
Avec L’Étranger, François Ozon signe un film aussi déroutant que fascinant, où la lumière découpe
les visages comme un scalpel et où le silence devient un langage. Ce n’est pas tant une adaptation
de Camus qu’une réinterprétation intime du sentiment d’absurde, revisitée à travers le prisme du
trouble, du désir et de la solitude moderne.
La signature d’Ozon : entre sensualité et métaphysique
Dès les premières images, on retrouve la patte d’Ozon : une élégance glacée, un regard chirurgical
sur les émotions, et cette manière si singulière de mêler sensualité et métaphysique. L’étranger
n’est plus seulement celui qui ne ressent pas — c’est celui qui voit trop, qui éprouve à contretemps.
Son détachement devient une brûlure inversée, un feu froid qui consume sans flamme.
Une mise en scène picturale et suspendue
La mise en scène, d’une précision picturale, épouse les contours d’un monde suspendu. Les plans
fixes laissent respirer la mer, la poussière, la lumière blanche — tout ce qui pèse et tout ce qui
échappe. On pense à Rohmer, à Antonioni, à Camus bien sûr, mais filtrés par la tendresse inquiète
d’Ozon. Chaque geste devient symbole, chaque silence, confession.
Un Meursault contemporain
Le jeu des acteurs, contenu et vibrant, trace la frontière entre la chair et l’âme. L’interprète principal Benjamin Voisin (dont le regard semble à la fois absent et traversé par mille orages) incarne un Meursault du XXIe siècle : ni coupable ni innocent, simplement humain dans un monde qui réclame des réponses nettes à des questions sans contours.
Ozon, fidèle à lui-même, filme l’incommunicabilité comme une danse : lente, sensuelle, presque
spectrale. Le soleil, omniprésent, n’éclaire pas — il aveugle. Et dans cette lumière trop forte,
l’homme se découvre nu, dépossédé, étranger à lui-même.
Entre rêve et révélation
En sortant de la salle, on ne sait plus très bien si l’on a vu un film ou traversé un rêve. L’Étranger
n’explique rien, il interroge tout. Il laisse derrière lui une empreinte — celle d’un cinéaste qui, encore
une fois, préfère le mystère à la morale, et la poésie à la démonstration.
Ozon nous offre ici un miroir sans tain : on croit y voir un autre, on y découvre notre propre
étrangeté.

Film de François Ozon, avec : Benjamin Voisin, Denis Lavant, Pierre Lottin, Rebecca Marder Swann Arlaud
Durée : 120’
Genre: Drame psychologique
Date de sortie: 29/10/2025